Interview du Père Noël 2012

Il arrive, blanc. Et barbu. Il secoue nonchalamment sa veste en coton, s’assurant d’un coup d’oeil que la place de parking pour ses rennes est suffisamment large. Consciencieux. Le Père Noël revient pour MCTLgang sur ses parts d’ombre et son parcours chaotique en 2012. L’année fut longue et rude pour celui que l’on nommait jusqu’alors le papa de tous les enfants, le papi gâteau et gâteur de Laponie. Soupçonné de distiller la division au sein même des communautés, de favoriser l’apogée d’une société consumériste, d’entériner les discriminations de genre et de savater l’égalité entre femmes et hommes, papa Noël est las. Pense-t-il à la retraite ? Que répond t-il à ses détracteurs ? Cette tournée 2012 sera-t-elle la der des ders ? Interview en face à barbe.

MCTLgang : A quelques jours de votre grande tournée, dans quel état d’esprit êtes-vous Père Noël ?
Père Noël : Abasourdi et troublé. Vous savez, cela déjà plusieurs années que je ressens des tensions et vois les calomnies se déverser sur mon compte à l’approche des fêtes.

J’ai bientôt 1000 ans, et sincèrement  je suis fatigué de devoir remonter chaque année sur mon traîneau pour affronter ces bourrasques de suspicions. Ce qui me fait tenir, c’est peut-être bête à dire, mais c’est le sourire des enfants…

Le serveur arrive, Père Noël commande une Chouffe.

MCTLgang : Justement, en parlant des enfants, que pensez-vous de ceux dont les familles refusent votre venue au sein même de l’école, au nom de la laïcité ?
Père Noël : quand j’ai appris la décision de cette directrice d’école française d’interdire ma venue, j’étais scandalisé.  Comment peut-on me censurer alors que la majorité des petits me réclame ? Là, c’était le pompon (sa voix tremble). J’en ai parlé à la Mère et sincèrement, elle non plus ne comprenait pas. Et puis, je me suis posé un soir, sur mon rocking-chair, pour faire le point. Il m’est alors apparu plusieurs choses : les défenseurs de la laïcité – et je les approuve, croyez-moi – estiment que mon existence est bien plus que culturelle : elle serait religieuse. Après tout, c’est juste, je ne m’en cache pas, je suis apparu de la cuisse de la Laponie le jour de la naissance du Christ pour les croyants. Bien plus qu’un produit culturel érigé en mascotte pour une marque de soda, j’incarne une fête chrétienne. Et bien évidement, tout le monde ne se sent pas concerné par ma venue. Mais j’avais mal estimé cette montée en puissance. Ce sont mes lutins qui m’ont informés de ce déchaînement. Mon service de presse croule depuis sous des tonnes de demandes d’interview.

Il réclame une deuxième bière.

MCTLgang : à ce propos, des rumeurs parlent d’une mutinerie chez les lutins, vous confirmez ?
Père Noël : écoutez, tout ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que la délocalisation de mon entreprise en Asie engage de nombreux débats. Maintenant, des choix devront être faits et je me dis prêt à rendre mon passeport français, comme l’a dernièrement fait courageusement mon ami Gérard. Revenons maintenant, s’il vous plait, aux raisons de ma venue (l’impatience se lit dans son regard).

Une Leffe, rejoint les deux autres verres vides sur la table.

MCTLgang : les grands principes de laïcité d’une société doivent-ils balayer un moment fédérateur, telle que votre venue dans les foyers le 25 décembre ?
Père Noël : J’imagine. Après, je pense qu’il faut aller au bout d’un système de pensée quand on se revendique laïc. Quid des fêtes de la Toussaint, de Pâques ? Si l’on me supprime dans le cadre des institutions, alors autant abroger le calendrier chrétien sur lequel tout le monde se base en France. La laïcité requiert des choix, il est temps d’être fidèle à ses convictions. Je suis prêt à me sacrifier, s’il le faut.

Il lève son verre vide. En réclame un nouveau.

MCTLgang : que répondez-vous aux féministes qui vous soupçonne d’être l’incarnation même du paternalisme et d’éclipser le travail – non rémunéré – de votre femme, la Mère Noël ?
Père Noël : (visiblement agacé)  je leur dis de s’occuper de choses plus sérieuses. On les entend à tout-va ces excitées. Elles n’ont pas d’autres combats plus importants à mener ? Les excisées, les mariages forcés, la pénurie de pains au chocolat dans les boulangeries ? Ma femme ne s’est jamais plainte de rien. Elle s’occupe de l’intendance de la maison, du foin des rennes. Nous avons toujours été complémentaires vous savez. A mon âge je ne vois pas l’intérêt de changer. Je leur dis de s’occuper de leurs gosses d’enfants rois bobos à ces pseudos féministes de mes grelots.

MCTLgang : votre boisson favorite est-elle toujours celle à bulles (coca-cola, ndlr) ?
Père Noël : Oui, je ne peux pas vous dire le contraire, (en raison de son contrat, ndlr). Mais, c’est vrai que de temps à autre, avec La Mère, on s’arrête chez les gens le soir de Noël, savourer une schnaps. On glisse plus facilement dans les cheminées après.

Une dernière liqueur coule dans sa gorge assoiffée.

MCTLgang : Père Noël, êtes-vous une vaste supercherie ?
Père Noël : (après un long moment de réflexion) Probablement. Vous savez, je suis à l’origine de tellement de déceptions chez les enfants lorsqu’ils apprennent ma non-existence. On ne va pas le nier, je suis une arnaque générale organisée. Comment faire confiance aux adultes avec ce mensonge ? Une armada de psys complètement teubés – c’est bien comme cela qu’on dit ? – viendra vous expliquer que je suis nécessaire à la construction de la personnalité de l’enfant  Que le rêve, la part de mystère, le sentiment d’être un grand quand on apprend la vérité, c’est important. Foutaise. Qu’on arrête de m’associer à ces salamalecs. Si tous les enfants croient les yeux fermés à ce mytho puissance dix, pourquoi des adultes censés ne pourraient pas croire à la fin du monde le 21 ? Par hasard, tiens.

La dernière phrase prononcée, le Père Noël disparaît soudainement. Seul un renne reste sur la place de parking, visiblement triste. Bourré.