Soins palliatifs du sexisme quotidien

morgueDate et heure du décès : 26 mars 2013, 19h07. Paris.
Il est mort dans la longueur, il est mort dans la douleur. Il est raide. Tout a commencé le matin du 26 mars, tandis que la journée ouvrait ses bras moelleux, café noisette et épluchures d’actualités de la veille. Rien alors, ne présageait l’accélération de son pouls, le rouge sur ses joues. Rien, sauf ce titre d’article : « Je ne discute pas de football avec les femmes », qui lui a mis le feu au cœur.

Mardi 26 mars, 9h13 : ce virus sexiste file entre ses doigts, vise la tête, pénètre son cœur. « Je ne discute pas de football avec les femmes » titre la presse. L’incubation est rapide, la maladie est frontale : qui est ce triple gland qui prétend ne pas vouloir parler avec les femmes de football ?

9h14 : lecture dudit papier. Il s’agit de Bernard Lacombe, le responsable du club de football de l’Olympique lyonnais qui répond lundi 25 mars à la question d’une auditrice sur l’émission Les Grandes Gueules de RMC. Citation « Je ne discute pas de football avec des femmes.  C’est mon caractère, c’est comme ça ; qu’elles retournent à leurs casseroles, et puis voilà, ça ira beaucoup mieux ».  Mieux pour lui, mal pour elle. A la lecture, elle sent ses mains devenir moites, ses pieds s’activer sous la chaise à roulettes, ses yeux de féministe se révulser à droite, à gauche, en haut, en bas : les premiers symptômes sont là.

9 h32 : La fièvre.

9h47 : Les frissons ressentis la pousse à commenter l’article en question. En vain, son pronostic vital est faible et les mots qu’elle emploie pour vomir le coupable ne seront jamais assez forts pour l’aider à vaincre ce poison quasi mortel. Que dire et surtout comment le dire ? Faut-il user de grossièreté ? D’ironie ? D’humour blasé ? Son commentaire est à mille lieux de la haine qu’elle ressent. Elle écrit  simplement : « Demandons sa démission, ça va trop loin. On ne peut pas insulter la moitié de l’humanité librement, avec des gros co…  qui rient à gorges déployées à ce trait de caractère plus que vomissable. ». C’est nul. Elle va mourir maintenant, c’est presque sûr.

12h02 : La lutte s’intensifie, les microbes assaillent son organisme avec force. L’info trouvera-t-elle un écho ? Les journalistes vont-ils saisir l’importance de cet événement ? Une loi pourrait-elle un jour enfin punir réellement, sanctionner les propos sexistes des gros beaufs / grosses beauffes ? Y a-t-il quelqu’un au bout du tuyau, merde ! Aidez-là, quoi.

15h20 : Son corps est faible mais il tient. Elle jette ses dernières forces dans l’épluchure d’autres coupures de presse dans l’espoir de soigner son mal par un autre. Ça brûle à l’intérieur.

17h01 : Le miracle est tellement beau qu’il semble faux. Pourtant il est là, sous ses yeux, presque palpable : une vidéo de Frigide Barjot sur Rue 89 ! Ouf, merci seigneur dieu tout-puissant dans ta miséricorde.

19h07 : Il meurt sous morphine de s’être fait remplacer par une autre actualité. Moins forte, plus drôle, pour passer la soirée.

19h08 : Jusqu’à demain matin. Sueur.

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